LES NEWS D’HISTOIRES CRÉPUES #9

Quand la colonisation redessine l’histoire tamoule

LES NEWS D’HISTOIRES CRÉPUES #9

Chaque mois, on vous embarque pour une plongée éclairée et crépue au cœur de l’histoire coloniale et de ses héritages multiples.
Cette newsletter prolonge l’aventure d’Histoires Crépues, avec la même volonté : apporter du contexte, des repères, et des clés de lecture pour mieux comprendre le continuum colonial qui façonne encore nos sociétés.

En coulisse de vos lectures ?

Penda Fall, membre de l’équipe Histoires Crépues, chercheuse en sciences sociales et engagée sur les questions raciales, migratoires et post-coloniales.

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DOSSIER (DÉ)COLONIAL

DIASPORAMA - L'HISTOIRE TAMOULE

Avant l’indépendance de 1948, l’île de Ceylan (Sri Lanka) est marquée par plusieurs siècles de domination coloniale portugaise, hollandaise puis britannique. Ces puissances réorganisent le territoire, l’administration et l’économie, en s’appuyant sur les populations locales. Deux groupes principaux structurent alors la société : les Cingalais, majoritaires et principalement bouddhistes, et les Tamouls, minoritaires, concentrés dans le Nord et l’Est de l’île, ainsi que dans les plantations.

Comment l’histoire coloniale de Ceylan (Sri Lanka) a-t-elle structuré les rapports de pouvoir entre Tamouls et Cingalais ?

🔹 L’économie coloniale comme matrice des futures exclusions

Les britanniques imposent une politique de divide and rule en réorganisant l’administration, les frontières internes et les populations selon des critères ethno-linguistiques. La colonisation ne crée pas les différences, mais les transforme en hiérarchies politiques et sociales durables. Cette logique se matérialise surtout dans l’économie de plantation. Pour développer la culture du thé, les Britanniques font venir une main-d’œuvre tamoule depuis l’Inde, exploitée, déplacée et maintenue hors des structures politiques.
Après l’indépendance, cette marginalisation devient un levier politique : les Tamouls des plantations seront les premiers à être privés de citoyenneté et de droits civiques. Ce groupe servira de bouc émissaire, ouvrant la voie à des lois d’exclusion qui toucheront progressivement l’ensemble des Tamouls.

🔹 Langue, éducation et politisation des identités

L’accès différencié à l’éducation sous la colonisation, notamment via l’anglais, permet à une partie des Tamouls d’occuper des postes administratifs. Cette situation alimente un ressentiment durable au sein de la majorité cingalaise, qui interprète cette présence comme une domination. Après 1948, ce ressentiment se transforme en projet politique : En 1956, l’Official Language Act, plus connu sous le nom de Sinhala Only Act, impose le cingalais comme unique langue officielle de l’État, excluant de fait les Tamouls de l’administration, de l’enseignement supérieur et de nombreux emplois publics. Les futures luttes tamoules naissent précisément ici, en réaction à une redéfinition nationale qui nie leur place et transforme une différence culturelle en conflit politique.

🔹 LTTE : auto-détermination tamoule

Face à la répression et à l’échec des mobilisations pacifiques, des jeunes Tamouls fondent en 1976 les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Leur objectif : obtenir le droit à l’autodétermination et créer un État indépendant dans le Nord-Est de l’île, le Tamil Eelam. Majoritairement jeunes, avec une participation féminine significative, ils organisent le mouvement en unités militaires et civiles (combat, santé, éducation, renseignement). À travers discipline, formation et identité collective, elle traduit la marginalisation historique en stratégies de résistance et en lutte pour l’autodétermination.

jeunes combattantes tamoules

Juillet 1983. Le Black July : en une semaine, des villes entières s’embrasent, des familles sont pourchassées et près de trois mille Tamouls perdent la vie. Que faire quand la violence devient systématique ? Quand les signes d’un génocide sont déjà là ? Partir ou rester ? Dans notre nouveau format DIASPORAMA, Histoires Crépues offre un espace aux diasporas pour raconter leurs histoires. Pour ce premier épisode, nous explorons l’histoire tamoule, de l’indépendance du Sri Lanka jusqu’aux massacres de 2009, à travers les voix d’ancien·nes combattant·es des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et de militant·es de l’association Em Inam.

📽️ Projection exceptionnelle !

rendez-vous à La Flèche d’Or le dimanche 11 janvier après-midi pour découvrir ce documentaire et discuter de ces récits, organisée en collaboration avec l’association Em Inam.

Le jeu des 7 familles

GLOSSAIRE (DÉ)COLONIAL

Né au XIXᵉ siècle, le jeu enseignait la hiérarchie sociale et familiale : père actif, mère au soin, fils à l’apprentissage, fille à la vertu… tout bien ordonné et bourgeois. Dans les années 1950, les « 7 familles internationales » sont introduites (Sénégal, Pékin, Lapon, Texas, Fakir, Nomade, Mohican), elles ne racontent pas le monde, elles le classent : un globe réinventé à coups de clichés coloniaux, où l’Occident reste au centre.

Le jeu devient ainsi un petit outil de propagande colonial, apprenant aux enfants à reconnaître et hiérarchiser les « autres ».
la fille ; le fils ; la mère - cartes à jouer issue de la « famille Fakir »
le grand-père ; la grand-mère ; le père - cartes à jouer issue de la « famille Fakir »

La « famille Fakir » illustre comment le jeu des 7 familles transforme l’Asie du Sud en décor « magique » pour l’Occident. Sur les cartes, des éléments provenant de cultures très différentes sont combinés : la danse Bharata Natyam tamoule, l’éléphant cérémoniel ou encore la boule de cristal qui invente une dimension « magique » pour rendre intelligibles des pratiques spirituelles inconnues aux yeux occidentaux .Cette fusion homogénéise et simplifie des sociétés complexes, effaçant toute distinction entre ethnies et traditions. Dans les années 1950, alors que ce jeu circulait en Europe, le Sri Lanka venait d’accéder à l’indépendance en 1948, avec déjà de fortes tensions ethniques entre communautés, qui culmineront avec les violences de Black July (1983). En présentant toute la région comme un spectacle fantastique, le jeu efface les réalités politiques et sociales, transformant l’Asie du Sud en simple objet de divertissement et de clichés, tout en éloignant le regard des tensions et conflits qui se préparaien.

✍️ Envie de découvrir les analyses sur les autres « familles » ? Penda nous montre comment le jeu des 7 familles a transformé la colonisation en carte à jouer, offrant un aperçu sur la manière dont l’Europe voulait que les enfants voient le reste du monde.

7 FAMILLES ET UN EMPIRE : L’IMAGINAIRE COLONIAL À LA CARTE
Et si derrière l’innocence d’un jeu pour enfants se cachait tout un empire ? Découvrez comment le jeu des 7 familles a transformé la colonisation en carte à jouer.

QUI ÉTAIT… ?

Thanthai Chelva

S. J. V. Chelvanayakam (1898 - 1977), surnommé Thanthai Chelva (« père Chelva »), était un avocat et homme politique tamoul du Sri Lanka, fondateur du Federal Party (Ilankai Tamil Arasu Kachchi) et plus tard du Tamil United Liberation Front (TULF). Il a consacré sa vie à défendre les droits linguistiques et politiques des Tamouls face à la majorité cinghalaise, héritière d’un système colonial qui avait consolidé des divisions ethniques et linguistiques.

En 1956, face au Sinhala Only Act, qui imposait le cinghalais comme seule langue officielle et marginalisait les Tamouls dans l’administration, Chelvanayakam organisa des manifestations pacifiques inspirées de Gandhi et négocia plusieurs accords de décentralisation notamment les pactes de Bandaranaike‑Chelvanayakam (1957) et Dudley‑Chelvanayakam (1965). Ces accords visaient à accorder plus d’autonomie aux régions tamoules en matière de langue, d’éducation et d’administration, mais furent finalement annulés sous la pression des nationalistes cinghalais.

Dans les années 1970, déçu par les réformes constitutionnelles, il revendiqua plus clairement l’autonomie tamoule. Sous sa direction, le TULF adopta en 1976 la Vaddukoddai Resolution, appelant à la création d’un Tamil Eelam, c’est-à-dire un État souverain pour les Tamouls dans le nord et l’est du Sri Lanka, face à la marginalisation par le gouvernement central.

Les dernières années de sa vie, marquées par la maladie de Parkinson et des difficultés personnelles, n’empêchèrent pas Chelvanayakam de défendre les droits tamouls et de promouvoir le dialogue politique jusqu’à sa mort accidentelle le 26 avril 1977. Sa disparition mit fin à la stratégie non violente tamoule, ouvrant la voie à une radicalisation progressive du mouvement.

RESSOURCES (DÉ)COLONIALES

À LIRE :

TamilNation.org, S.J.V. Chelvanayagam Q.C. - One Hundred Tamils, 2009.

À ÉCOUTER :

The Funambulits Podcast, S'organiser en diaspora pour la lutte eela tamoule, Soundclound, 2025

À SUIVRE :

Em Inam - Association Franco-Tamoule Portée par des jeunes franco-tamoul·e·s, lutte pour les droits du peuple tamoul et contre l’injustice historique. L’association agit pour la mémoire, la solidarité et l’égalité, en mobilisant la société française, notamment la diaspora tamoule par des actions, des publications et du plaidoyer.

ADOPTER OU COLONISER ? L’OMBRE DU PASSÉ

ÉCHOS (DÉ)COLONIAUX

Et si chaque adoption internationale portait en elle un héritage colonial ?

🔸Transformer le collectif en carence : le point de départ de l’adoption internationale

Avant la colonisation, dans de nombreuses sociétés d’Afrique et du Pacifique, élever un enfant reposait sur des formes collectives. Le confiage, le fosterage ou le hānai permettaient à un enfant de circuler entre foyers sans rompre les liens avec sa famille d’origine, suivant des logiques de solidarité, de transmission et parfois de mobilité sociale. Ces pratiques, bien qu’imparfaites et parfois marquées par des inégalités, étaient reconnues socialement et avaient un sens dans leur contexte, il ne s’agit pas de les idéaliser, mais de montrer qu’elles existaient et faisaient sens dans leur contexte.

Avec la colonisation, elles ont été progressivement disqualifiées. Les administrations coloniales et les missions chrétiennes ont imposé la famille nucléaire occidentale comme norme, présentant tout écart comme un signe d’abandon ou de négligence. Cette relecture a transformé des solidarités collectives en « problèmes sociaux », justifiant l’intervention extérieure.

En délégitimant ces systèmes locaux, le pouvoir colonial n’a pas seulement imposé un autre modèle familial : il a préparé le terrain idéologique de l’adoption internationale. Si les familles du Sud sont perçues comme incapables de « bien élever » leurs enfants, leur retrait devient pensable, voire nécessaire.

🔸Déraciner pour façonner

Cette délégitimation ouvre la voie au déracinement. À partir du XXᵉ siècle, les autorités coloniales créent orphelinats, centres éducatifs et internats pour prendre en charge les enfants jugés « abandonnés » ou « à sauver » afin de les modeler selon les normes européennes.

Home indien de Saint-Laurent-du-Maroni, 1964. © Photo AGFMM

L’adoption internationale voit le jour en s'inscrivant dans ce projet  : couper l’enfant de son milieu pour l’inscrire dans une autre filiation, une autre morale, une autre vision du monde. L’enfant devient un enjeu politique et un instrument de contrôle social.

« Pour faire d’un petit Indien un bon chrétien, il faut d’abord en faire un orphelin. » Le Père Barbotin en parlant des enfants Guyanais

Aujourd’hui encore, ce continuum colonial continue de façonner l’adoption transraciale. Mais sous quelles formes ? La colonisation a engendré ce que certains appellent l’« adoptéphobie » : comment se traduit-elle concrètement ?

✍️Pour retrouvez des éléments de réponse, lisez le dernier article de Penda disponible sur notre site !

L’ADOPTION, UN TRUC DE BLANCS ?
Et si derrière chaque adoption internationale se cache un modèle façonné par la colonisation ?

CALENDRIER (DÉ)COLONIAL

Events & Reco de janvier !

📅 Dimanche 11 janvier 📍à la Flèche D'Or

15h à 21h | Projection Diasporama - l'histoire tamoule entre exil et mémoire
Projection, Talk, Exposition, Food, Musique, Danse - entrée à prix libre Avec Histoires Crépues & l'association Em Inam


📅 Du 15 au 17 janvier 📍Chaillot - Théâtre national de la Danse

| Spectacle Bani Volta avec la Compagnie Auguste-Bienvenue

Bani Volta naît du souffle de dix corps qui traversent le temps et la mémoire. Son nom rappelle une région d’Afrique de l’Ouest où, en 1915-1916, plusieurs communautés se levèrent ensemble contre les forces coloniales françaises. Constatant que cette histoire s’efface peu à peu, au Burkina Faso comme en France, le chorégraphe Bienvenue Bazié la ressuscite à travers la danse : la rage, la révolte, la force des femmes, et l’écho de cet héritage dans le Burkina Faso d’aujourd’hui.

Née d’une recherche-création lancée en 2024 à Ouagadougou, la pièce puise dans archives, chants, récits et études, transformant ces fragments en mouvements, en voix, en vies. Avec Bani Volta, la compagnie Auguste-Bienvenue montre que la danse peut réveiller des mémoires enfouies et faire briller des histoires qui méritent d’être racontées.

Bonne année 2026 à tout·e·s ! Une année folle nous attend : plein de nouveaux contenus, et on se prépare à couvrir les municipales pour s’échauffer avant les présidentielles… Merci d’avoir cru en nous, d’avoir été là, de nous avoir donné de l’élan. On aura plus que jamais besoin de soutien. D'ici là prenez soin de vous Ciao, Ciao, Ciaoo!

En coulisses de vos lectures - Penda Fall

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